Denis Rolland, Amérique latine et relations internationales

Bibliographie, Histoire, Amérique latine, Relations culturelles internationales, Actualité. Historia de América latina y de las relaciones internacionales. Historia da America latina e das relaçoes internacionais. Latin American History, International Relations History.

Mémoire et imaginaire de la France en Amérique latine

La commémoration du 14-juillet, 1939-1945

Paris, L'Harmattan-IUF, 2000.

A travers l'étude des célébrations du 14 juillet dans les états d'Amérique latine entre 1939 et 1945, on analyse les caractères de persistance, de dépréciation et d'éventuel renouvellement des références à la terre des Lumières et aux valeurs issues de la Révolution française.

Dans le cadre du déni des principes républicains par le régime de Vichy, cette fête du 14 juillet, politiquement symbolique, constitue ainsi un observatoire pertinent des processus d'organisation politique et de l'évolution des systèmes de référence identitaire.

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Critique parue dans la RHMC

Dans ce second ouvrage [Après La crise du modèle français], Denis Rolland prend le 14 juillet comme objet d’analyse pour suivre l’image de la France en Amérique latine. Cette commémoration tient lieu de symbole pour toutes les républiques nées d’une rupture avec un ancien régime. L’étude se situe dans les années de crise de la Seconde Guerre mondiale, une période qui, vue de l’extérieur, marque l’effondrement politique et militaire de la France, mais qui permet en même temps de raviver le sens libérateur de la commémoration du 14 juillet. L’auteur analyse la remise en cause du «modèle français» révolutionnaire et républicain par le gouvernement de Vichy, mais présente également (et surtout) la régénération des liens entre la France et l’Amérique latine, grâce au travail militant de la France libre du général de Gaulle. Ainsi Denis Rolland met-il en exergue la remobilisation, dans la guerre, de la francophilie latino-américaine en faveur des Lumières et de la Révolution française au service de la Libération du territoire français. Il s’agit en même temps d’une période charnière qui projette les républiques latino-américaines dans un nouvel ordre international, où les liens avec l’ancienne Europe sont en recul, tandis que les relations avec les États-Unis acquièrent une importance jamais connue auparavant.

Comme le précise l’auteur, il s’agit, à travers cet « objet ritualisé » qu’est le 14 juillet, de préciser les caractères de persistance, de dépréciation et de renouvellement de la référence à la terre des Lumières. Ce faisant, l’ouvrage constitue une illustration de la problématique développée dans l’ouvrage plus panoramique de «la crise du modèle français». La démonstration se décline en quatre temps.

Dans la première partie, l’auteur présente quelques points de repère permettant de comprendre les conditions de diffusion, de perception et d’acclimatation en Amérique latine du 14 juillet. Des exemples signalent la très forte influence de la Révolution française dans la construction des identités nationales (Bolivar, par exemple, avait opté pour la bannière tricolore ; en Colombie, le 14 juillet est célébré tous les ans à partir de 1881 ; au lendemain de la proclamation de la République au Brésil, le 14 juillet est décrété fête nationale…). Des descriptions très riches et documentées mettent en évidence l’énorme influence des Lumières en Amérique latine.

La deuxième partie analyse les publics de ces commémorations. Le premier est composé de la communauté des Français à l’étranger. La commémoration de la fête nationale est alors l’occasion d’affirmer une appartenance commune – française – de souder la « colonie », de raviver ses sentiments patriotiques et d’éviter sa «dénationalisation », son assimilation à la population d’accueil avec perte d’identité originelle. L’enjeu est d’autant plus important que la colonie française est numériquement faible (comme au Paraguay ou en Colombie). Le second public regroupe les Libano-Syriens, ressortissants placés avant la guerre sous mandat français. Il s’agit d’une colonie nombreuse, parfois supérieure à la population d’origine française dans le pays. Le 14 juillet est alors l’occasion de rappeler les liens de cette communauté avec la puissance mandataire. L’auteur aborde en outre dans cette partie la confusion issue de l’existence de deux France – la France libre et la France de Vichy – et montre comment, pour des raisons tactiques, des diplomates en poste dans les locaux de Vichy et désireux de démissionner pour regagner la France libre, ont été amenés à y renoncer à la demande expresse de la France libre (dans le cas de Cuba) et des États-Unis (dans le cas du Brésil) en raison des informations qu’ils étaient susceptibles de fournir aux Alliés.

La troisième partie s’attache à présenter les manifestations concrètes du 14 juillet dans le contexte de l’affrontement Vichy/France libre. Le côté faste et festif de l’événement avant 1940, laisse place, après la signature de l’Armistice, à un 14 juillet « endeuillé », puis en 1941, à une concurrence entre les deux représentations au cours de laquelle il s’agit avant tout, pour la France libre, de revendiquer la légitimité de la représentation des intérêts français. La nécessité d’élargir le public habituel de la commémoration amène également à repenser le cadre de l’événement en le réinvestissant dans une dimension populaire, avec manifestations annexes et kermesse qui tendent peu à peu à faire descendre « le modèle français de son piédestal de supériorité culturelle » et à assouplir le caractère par trop solennel de la commémoration. Cette dimension est déclinée suivant ses manifestations nationales, tout comme la nouvelle dimension donnée aux célébrations religieuses et la symbolique associée au drapeau tricolore.

Enfin, la quatrième partie pose la question des référents historiques de la commémoration du 14 juillet et du symbolisme qu’elle véhicule. Le référent premier reste 1789, avec la prise de la Bastille identifiée à l’Ancien Régime, et parfois l’abolition des privilèges ou la Déclaration des Droits de l’Homme. Là encore, la précision de la référence historique est examinée selon les pays. Quant au symbolisme, il est mis au service de l’amitié franco-latino-américaine et de la réaffirmation de valeurs communes autour de la devise : « Liberté, égalité, fraternité ». On l’associe également à la Résistance, à la restauration d’une France libérée, ainsi qu’à l’idée de progrès. À signaler enfin en milieu d’ouvrage un cahier d’illustrations et de photographies qui permet d’incarner les propos développés par l’auteur.

Au final, ces deux ouvrages se complètent admirablement et permettent de poser, sous deux angles différents, une même problématique, celle de l’évolution d’un modèle de représentation à l’étranger. Le terrain d’analyse retenu est celui du modèle français au XXe siècle.

Jacky BUFFET, RHMC, 49-4, 2002-4






Dernière modification le 05/09/2009

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